Vous connaissez cette sensation comme si vous aviez la tête sous l'eau ? Les sons sont indistincts et le temps semble s'arrêter. Privation sensorielle, poumons en feu et plus aucune vitesse disponible. J'ai tout donné dans cette ascension. Voilà que j'approche du sommet et le moment est venu de fournir le dernier effort...
Situé dans le canton du Tessin en Suisse, le col du Saint-Gothard sert depuis le 13e siècle de point de passage entre le sud et le nord de la Suisse. À cette époque, les chariots tirés par des chevaux empruntaient un chemin cahoteux. C'est en 1830 que la route d'accès au col que nous connaissons actuellement a reçu un revêtement. J'utilise le terme « revêtement » au sens large, car les 5 derniers kilomètres sont recouverts de pavés dignes de Paris-Roubaix.
Statistiques :
- 11,8 km
- Pente moyenne de 7,6 %
- Dénivelé positif de 895 m
Dans les articles précédents de la série Shimano Power-Up, j'ai évoqué l'importance de la puissance seuil fonctionnelle (FTP) en tant qu'outil pour pouvoir profiter du moindre watt développé par les jambes. J'ai également expliqué pourquoi il est important de connaître la puissance que vous pouvez maintenir pendant une heure afin de ne pas exagérer l'effort, ni de le minimiser. Mais que ce passe-t-il si l'ascension dure moins d'une heure ? Comment gérer la FTP dans un tel cas de figure ? Deux options s'offrent à vous : Définir un objectif réaliste et gérer la puissance que vous pouvez maintenir à l'aide d'un capteur de puissance ou aller au-delà de la FTP et essayer de maintenir cette puissance.
Pour commencer, laissez-moi vous présenter la configuration de mon vélo pour cette tentative : j'ai opté pour le groupe Dura-Ace R9170 Di2 hydraulique avec un pédalier 52/36 dts et une cassette 11-30 dts. J'adore cette combinaison et la polyvalence qu'elle offre en plaine et en montagne.
Comme j'étais dans la région depuis quelques jours, j'ai décidé de franchir le col du Nufenen en voiture jusqu'au petit village d'Airolo et de faire les choses à l'envers. À savoir, reconnaître le terrain depuis la voiture, puis descendre à vélo et remonter. Bien que la majorité du parcours allait être en descente, j'allais avoir l'occasion de commencer à faire bouger les jambes et, plus important, de tester la pression des pneus sur le secteur pavé. J'ai monté des pneus tubeless de 28 mm et par conséquent, la pression de gonflage est inférieure à celle de pneus avec chambre à air. Et comme la route est mouillée, je peux encore réduire la pression pour améliorer l'accroche. Sur route sèche, j'adopte une pression de gonflage de 4,8 bars. Ici, j'ai opté pour 4,5 bars avec l'option d'une réduction supplémentaire en cours de route.
Une descente sur des pavés est une expérience intéressante que je n'avais jamais vécue. Elle remet en question les limites que vous pensiez avoir. Il y a une sensation de danger vu que la plupart du temps, la surface de contact avec la route est réduite à sa plus simple expression. Descendre à fond en essayant de maintenir ce qu'il faut de pression dans les pneus pour avoir le plus d'accroche possible.
Une fois arrivé en bas, il est temps de préparer le mental et le physique. Il est tentant d'aborder un effort en pensant qu'il ne faut pas gaspiller son énergie pendant l'échauffement. C'est en partie vrai, mais une certaine dose d'effort réveillera les jambes et les préparera pour la souffrance à venir.
Mon échauffement, de 30 minutes au total, s'organise comme suit : 10 minutes à 50 % de ma FTP, puis alternance de sessions de 2 minutes d'effort suivies de 2 minutes de repos en augmentant ma FTP de 10 % par session jusqu'à 110 %.
Tapis. Que veut dire « Tapis » dans ce contexte ? Il est évident que si je commençais directement à ma puissance maximale, je n'arriverais pas au sommet. Donc, je débute avec ma FTP + 10 %. Il y a 11,8 km de montée, dont les 7 premiers sur le bitume. Peu importe la qualité de l'échauffement, les 10 premières minutes sont toujours un choc pour l'organisme. Comme je sais ce qui m'attend, il est agréable de débuter sur le bitume lisse pour permettre au corps et à l'esprit de trouver leur rythme. J'atteins la puissance souhaitée et j'essaye de maintenir une cadence élevée. Pourquoi une cadence élevée ? Quand j'adopte une cadence élevée, je peux exploiter mon système aérobie (les poumons) au lieu du système anaérobie (les muscles). Cela permet également aux muscles des jambes d'évacuer l'acide lactique le plus longtemps possible.
Les deux premiers kilomètres me réservent deux virages en épingle serrés avec une pente de près de 10 %. Cela impose une contrainte aux jambes avant une section d'élévation impressionnante. Jusqu'à présent, tout se passe bien et j'arrive à maintenir la cadence souhaitée. Je franchis la barrière avant le secteur pavé et je peux voir la ville d'Airolo tout en bas. Le moment est venu d'affronter les pavés, ces véritables sangsues de l'énergie. Ma puissance chute et je ne parviens pas à maintenir la même vitesse. La roue avant sautille de tous les côtés et je dois maintenir le guidon sans le serrer. J'évite de placer mon poids sur la roue avant et je sollicite les abdominaux pour maintenir une position stable. Une fois que je retrouve mon rythme en selle, je récupère des watts. L'inclinaison se réduit et je trouve une brève occasion d'accélérer un peu.
J'arrive dans le cœur du sujet ! Cette section a été rendue célèbre par le Tour de Suisse et par les cyclistes qui viennent se mesurer à cette ascension emblématique. Il s'agit d'une section de 4 km de lacets les plus beaux que vous pouvez imaginer. Si ce col se trouvait sur le territoire français, il figurerait souvent dans le tracé du Tour de France. Malheureusement pour moi, mes jambes crient et je n'ai pas la tête à admirer le paysage. Les pavés épuisent mon énergie et me vident de toute mon âme. J'alterne entre la position assise et en danseuse, ce qui affole mon relevé de puissance.
Je vois l'entrée du célèbre tunnel routier de l'autre côté de la vallée. Je regarde mes pneus et je compte. Un... deux... trois... quatre et je recommence.
Je sais que ma position la plus efficace est assis sur la selle. Quand je suis en danseuse, je perds du temps, je diminue l'efficacité aérodynamique et le poids transféré sur la roue avant entraîne encore plus de gaspillage d'énergie. Mais que puis-je faire d'autre ? Pas grande-chose.
Je vois le panneau qui indique qu'il me reste 2 kilomètres à parcourir et grâce à la reconnaissance, je sais que mes souffrances ne sont pas terminées, mais il ne me reste que deux virages. Ensuite, la pente s'adoucit et c'est la ligne droite jusqu'au sommet.
Je franchis un petit pont et je vois les bâtiments. J'ai l'impression de pratiquer du cross-fit. L'élégance n'est pas au rendez-vous, car je cherche à tout prix à maintenir le relevé du capteur de puissance au-delà de 350 w alors que mon vélo roule sur les pavés. Le coup de chance ? Un vent de dos dans la dernière rampe et j'arrive au sommet.
Est-ce que tout s'est déroulé comme prévu ? Oui et non. Je crois qu'aborder la montée légèrement au-dessus de ma FTP était une bonne idée, mais je me demande s'il n'aurait pas été préférable de commencer en-dessous de ma FTP, puis d'augmenter. Tout allait bien jusqu'aux pavés. Le changement de surface a tout perturbé. Ces petits cubes en pierre ont sapé sans pitié ma puissance, ma vitesse et ma volonté. Puissance moyenne : 366 W Durée : 39:12
Synthèse de puissance : au fil de mes 3 derniers articles, j'ai expliqué comment utiliser un capteur de puissance pour tirer le maximum de votre capacité et atteindre le meilleur résultat possible. Si le concept d'entraînement selon la puissance est nouveau pour vous, je vous recommande les actions suivantes : - Un test FTP en milieu contrôlé pour déterminer la puissance maximale que vous pouvez maintenir pendant 1 heure. - Reproduire le test FTP à l'extérieur afin de déterminer la puissance que vous pouvez maintenir dans le monde réel, car l'application des résultats du test FTP au monde réel peut être trop ambitieuse - Si vous avez un objectif/une ascension spécifique en tête, essayer de reproduire l'effort avant la tentative - S'échauffer correctement avant l'effort - Tenir compte de la durée de l'effort et des sensations. Vous déciderez peut-être de débuter à votre FTP ou de débuter en-deçà de celle-ci, puis d'augmenter l'effort avant d'épuiser les réserves. - Ne pas oublier de profiter du moment ! L'entraînement selon la puissance est efficace, mais il peut y avoir de grande différence entre entraînement et la sortie.